Depuis une semaine, certains jouent à domicile (plutôt en défense), d’autres à l’extérieur, mais il s’agit d’un seul et même match, ô combien vital, contre le Covid-19. Et d’une seule et même équipe. C’est une certitude, on gagnera, mais la question cruciale est de pouvoir siffler la fin de la rencontre le plus tôt possible pour limiter les dégâts humains et économiques. La rapidité avec laquelle l’épidémie est devenue mondiale nous a fait prendre conscience que nous faisions tous partie de la même chaîne, chaîne de contacts, de production, d’approvisionnement. Cela a fait aussi naître un formidable élan de sympathie et de gratitude envers nos médecins, infirmiers, caristes, préparateurs de commandes, conducteurs de poids lourds, ouvriers, caissières, pharmaciens, et j’en oublie, qui poursuivent vaillamment leurs missions d’intérêt général (l’expression prend ici tout son sens). Sans oublier les initiatives solidaires de la part d’entreprises qui ont réorganisé très rapidement leur outil de production pour contribuer à l’effort national face à la pénurie de masques et de gel hydro-alcoolique. Il n’empêche que, la semaine dernière en tout cas, la bonne vieille devise du « chacun pour soi et Dieu pour tous » faisait encore des adeptes. C’est autant de temps de perdu (mais également, par la suite, de vies et d’entreprises en difficultés). Et je ne parle pas uniquement de ceux qui, pris de panique, ont dévalisé les rayons de certains produits de première nécessité dans les supermarchés, ou frappés d’une forme d’inconscience, ont décidé de se faire une ballade ou un pique-nique. Je parle aussi des entreprises, grandes ou petites, qui sont tentées de stopper la chaîne de paiement et de ne pas tenir leurs engagements vis-à-vis de leurs en-cours fournisseurs, alors même qu’il existe des dispositifs ad-hoc mis en œuvre par l’Etat et les banques. En rompant le pacte du crédit inter-entreprises, elles mettent en danger toute leur chaîne d’approvisionnement, avec des conséquences désastreuses lorsqu’il s’agira de relancer l’économie du pays. Il est encore temps de faire machine arrière et de prendre exemple sur d’autres sociétés qui, au contraire (et aussi parce qu’elles ont suffisamment de trésorerie), s’engagent à payer plus rapidement que d’habitude leurs fournisseurs. Les concepts de Supply Chain Finance, qui paraissaient vaporeux pour certains il y a encore quelques mois, reviennent sur le devant de la chaîne. C’est une question de vie ou de mort (économique). Ceux qui rompent les flux financiers (l’un des trois flux de la SC, avec les flux de marchandises et d’informations) mettent tout le monde en danger, y compris eux-mêmes. Ce que l’on pourrait résumer par cette nouvelle devise : « chacun pour soi ? Idiot pour tous ! ».
Jean-Luc Rognon