Arrêtez-moi si je me trompe, mais je pense que jamais la résilience des supply chains n’a été mise à l’épreuve de manière aussi concrète au monde entier qu’avec cette épidémie de coronavirus. Que ce soit en amont, avec les risques de ruptures d’approvisionnement des usines, ou bien en aval avec les difficultés à réagir face à l’évolution de la demande mondiale en masques respiratoires, en gel hydro-alcoolique, voire ponctuellement en produits de première nécessité soudainement dévalisés en grandes surfaces en raison de mouvements de panique sporadiques. Pour le gouvernement, la solution d’avenir face à ces problèmes pourrait venir de la relocalisation de certaines activités économiques et industrielles. Le thème n’est pas nouveau, on retrouve le credo défendu il y a sept ans par Arnaud Montebourg, alors ministre du « Redressement Productif ». Ce qui l’est plus, c’est que cette tendance semble être déjà en marche dans le monde entier : une étude publiée début février par Bank of America sur « les mouvements tectoniques dans les supply chains mondiales » indique un début d’inversion de tendance, même si son amplitude est encore faible. L’enquête réalisée auprès de 3 000 entreprises d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie montre que dans de nombreux secteurs, des plans sont en œuvre ou en projet afin de repositionner certains maillons de leurs supply chains (pour l’instant de façon modérée). Les raisons sont multiples : l’évolution des tarifs douaniers (même si la guerre commerciale Chine-Etats-Unis s’est un peu apaisée depuis janvier), les considérations de sécurité nationale, l’augmentation du coût du travail en Chine, la nécessité de réduire son empreinte carbone, ou la logique de rapprochement entre les outils de production et les épicentres de consommation. Sans parler des avantages en termes de résilience d’une supply chain plus fragmentée. Le mouvement semble plus marqué en Amérique du Nord, où des plans pour trouver une alternative au sourcing en Chine existent dans deux tiers des 12 secteurs étudiés, alors qu’en Europe, 83% des entreprises interrogées n’ont pas ce type de projets en tête. Bank of America souligne par ailleurs que dans cette tendance à la réorganisation des supply chain mondialisées, l’option de la relocalisation pourra s’appuyer sur les progrès continus de l’automatisation et de la robotisation pour tempérer les risques d’emballement des coûts de production. Il est intéressant de noter que cette enquête a été réalisée avant l’apparition du Covid-19. Qualifié de « tectonique » par Bank of America pour souligner son extrême lenteur, ce mouvement de délocalisation / relocalisation pourrait-il tourner au séisme ?
Jean-Luc Rognon