À l’heure où j’écris ces lignes, la sortie progressive du troisième confinement est annoncée, alors même que les chiffres de contamination restent très élevés. Et que la tension hospitalière oblige les soignants à déprogrammer certaines opérations jugées moins urgentes pour accueillir en priorité les patients atteints des formes graves du Covid. Sur ce sujet ô combien vital, je vous suggère la lecture du dernier ouvrage du professeur Gilles Paché*, La société malade de la Covid, dans lequel il rassemble un certain nombre de ses chroniques. L’une d’elles concerne l’analyse de l’approche managériale appliquée aux hôpitaux par les pouvoirs publics. Même si la comparaison peut sembler choquante, il apparaît que la gestion capacitaire du système hospitalier en ces temps de crise sanitaire est soumise aux mêmes options logistiques que s’il s’agissait de la supply chain de n’importe quel produit de grande consommation soumis à une soudaine et forte hausse de la demande.
Selon le professeur Paché, ces options logistiques classiques sont au nombre de quatre. La première est le lissage : quand une entreprise n’a plus les capacités pour répondre à la demande, elle négocie avec ses clients des livraisons retardées. Appliquée au monde des hôpitaux, c’est la stratégie du confinement. La deuxième est le recours à une sous-traitance des capacités. Celle-ci a aussi été réalisée, certains patients ayant été transférés dans des hôpitaux de pays limitrophes ou vers d’autres régions de l’Hexagone quand c’était possible. La troisième est de se doter de nouveaux actifs, de capacités additionnelles, industrielles et logistiques quand il s’agit de boîtes de conserve, hospitalières quand il s’agit de crise sanitaire. Cela a été fait en Chine au début de la pandémie, et dans une moindre mesure en France quand un hôpital militaire de campagne a été installé à Mulhouse. En supply chain, il existe une quatrième option de pilotage des flux sous contrainte : celle d’une dégradation volontaire du niveau de service, en renonçant à livrer certains clients sur une période donnée. Dans l’univers hospitalier, cela signifie que les médecins doivent faire face à des choix cornéliens pour sélectionner les patients qui bénéficieront d’un lit d’hospitalisation en réanimation. Fort heureusement, jusqu’à présent, cette option 4 n’a jamais été activée (de façon systématique) en France. Mais l’éventualité n’a pas été écartée, comme le prouve un document de la direction générale de la santé (DGS) daté de mars 2020, cité par Gilles Paché, et intitulé « Priorisation de l’accès aux soins critiques dans un contexte de pandémie ». Espérons donc que ce troisième pic soit bel et bien derrière nous…
* Professeur agrégé de sciences de gestion à Aix-Marseille Université et membre du centre de recherche sur le transport et la logistique (Cret-Log).