En physique, les chercheurs savent depuis près de 100 ans qu’ils ne peuvent s’affranchir du principe d’incertitude formulé par l’allemand Werner Heisenberg. Il s’agit d’une limite fondamentale de notre capacité à connaître avec précision et de manière simultanée la vitesse et la position d’une particule quantique. En Supply Chain Management, les praticiens doivent aussi composer avec l’incertitude. Or, le défi s’est corsé ces dernières années avec la survenue de deux évènements plutôt improbables : une crise sanitaire mondiale et l’invasion d’un pays aux portes de l’UE. Et plus récemment, difficile d’anticiper qu’une poignée de Houthis allaient mettre sens dessus dessous le trafic maritime en mer Rouge, forçant la plupart des porte-conteneurs du flux Asie-Europe à faire le détour via le cap de Bonne-Espérance (voir Zoom page 10).
C’est sans doute l’un des grands problèmes actuels auxquels s’attellent les directeurs supply chain : comment se préparer à l’imprévisible ? Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la chaire « Supply Chain du Futur » de l’École des Ponts ParisTech, récemment entrée dans une nouvelle phase de 5 ans avec Michelin, Renault Group, Louis Vuitton, Decathlon et Argon&Co, a rajouté la maîtrise des risques à ses axes de réflexion. Car faute de savoir prédire, il faut pouvoir identifier précisément les points de fragilité de sa supply chain pour être capable d’anticiper les conséquences de tel ou tel évènement imprévu, et déclencher sans délai un plan B. Selon Vincent Barale, le directeur supply chain et logistique de Louis Vuitton, c’est aussi une question d’état d’esprit : « tout le monde doit avoir conscience qu’il lui faudra réagir à l’imprévu. Dans la prévision de ventes par exemple, si vous communiquez trop en interne sur la précision de vos forecasts, vous empêchez les esprits de développer leur agilité ». Et il appelle d’ailleurs de ses vœux la mise au programme des grandes écoles de cours de pragmatisme et de « bon sens agricole ».
Vivre dans un monde toujours plus incertain n’exonère pas de préparer l’avenir, bien au contraire. Dans le cadre de notre dossier « Pour vos appels d’offres » sur les cabinets de conseil en SCM (132 acteurs recensés dans notre panorama), nous avons interrogé les consultants sur ce thème. Il en ressort que les supply chains du futur seront bien sûr digitalisées, data driven et décarbonées, tout en devant s’adapter aux réglementations environnementales et sociales. Certains soulignent aussi l’enjeu d’un recentrage à une échelle plus régionale, une réponse plus résiliente face au principe d’incertitude !